Alice Gomstin est journaliste, reporter et maman de deux enfants. Je vous fait ici part d'un texte qu'elle a écrit récemment et qui m'a beaucoup ému, et que j'ai ici traduit pour vous. J'espère que son témoignage vous touchera tout autant que moi !
Il y a une dizaine d’années, je suis intervenue dans une classe d’un lycée de la région, où j’ai fait de mon mieux pour préparer une petite présentation sympa et intéressante pour parler aux ados de mes expériences en tant que jeune reporter.
Je travaillais alors dans un journal régional, et le lycée m’avait invitée ainsi qu’un photographe pour donner aux élèves un aperçu des carrières vers lesquelles ils pouvaient s’orienter.
Je travaillais alors dans un journal régional, et le lycée m’avait invitée ainsi qu’un photographe pour donner aux élèves un aperçu des carrières vers lesquelles ils pouvaient s’orienter.
Les adolescents se sont tous assis poliment, sans trop faire d’histoires… À l’exception de l’un d’entre eux. C’était un gamin de petite taille, au corps osseux sous son sweat à capuche bien trop grand. Je pouvais le voir remuer sur sa chaise et, pire encore, je l’entendais murmurer entre ses dents et se plaindre de ma présentation. Finalement, il sembla se résigner au fait que oui, il devrait endurer ma présence pendant quelques minutes encore, et au lieu d’écouter il s’est allongé sur la table, la tête entre ses bras.
Son professeur s’est approché de lui, et je m’attendais à ce qu’elle le gronde et qu’elle lui dise d’arrêter son cinéma. Au lieu de cela, elle a posé doucement son bras sur ses épaules et elle lui a murmuré quelque chose d’une voix douce. Je ne sais pas ce qu’elle lui a dit alors, mais c’était très clair qu’elle n’était pas en train de le gronder. Je me suis alors sentie passablement agacée. Ce gosse se comportait avec une impolitesse crasse pendant ma présentation, et tout ce qu’elle trouvait à redire c’était de lui faire un câlin ?
Ce n’est que bien après qu'un détail m’a frappée et que je me suis rendue compte que le comportement de cet élève n’avait rien à voir avec moi. Les élèves de ce lycée venaient pour la plupart de familles très pauvres (voire en situation financière désespérée). Plus de la moitié d’entre eux avaient des bourses alimentaires pour la cantine. Il y avait de fortes chances pour que ce gamin-là dusse faire face à de graves problèmes en dehors de ses heures de cours. S’il était si maigre, c’était peut-être aussi parce qu’il devait sauter un ou deux repas. Peut-être était-il fatigué parce qu’il n’avait pas un endroit confortable où dormir. Peut-être n’avait-il pas de maison du tout. Quels que soient ses problèmes, la prof était au courant et elle a jugé plus adapté de lui offrir de la compassion plutôt qu’une punition.
J’ai repensé à cet enfant et à son enseignante très récemment, en lisant un article du Washington Post qui faisait état d’un fait très grave : plus de la moitié des élèves des écoles publiques aux États-Unis vivent dans la pauvreté. La statistique en elle-même est dramatique et choquante, mais ce qui m’a encore plus bouleversé c’était le témoignage d’une maîtresse de maternelle d’Albuquerque qui venait illustrer l’article.Sonya Romero-Smith aide ses jeunes élèves, notamment en ayant à disposition dans sa classe une armoire remplie de chaussettes, sous-vêtements, de pantalons propres pour les enfants.
« Quand ils arrivent devant la porte le matin, la toute première chose que je fait c’est d’établir un inventaire de leurs besoins immédiats : Avez-vous mangé ? Êtes-vous propre ? » explique l’enseignante au Post.
Mon fils aîné est bientôt en âge de rentrer en maternelle et il n’est jamais à court de nourriture ni de linge propre. Personne ne devrait l’être, mais encore moins un enfant de cet âge, si petit et si vulnérable. Portant, la réalité est loin d’être aussi simple. Cela me brise le cœur d’imaginer ce que les jeunes élèves de Romero-Smith laissent derrière eux au moment d’entrer dans la salle de classe.
Je voulais en savoir plus sur la vie dans la salle de classe de Sonya Romero-Smith, et en dehors de cette classe, alors je lui ai envoyé un e-mail en lui posant quelques questions, certaines très spécifiques, d’autres beaucoup plus larges. Pour commencer, je lui ai demandé comment cela se faisait que certains enfants viennent à l’école sans avoir pris de douche ou avec des vêtements sales (Réponse : Il est parfois difficile d’avoir accès à des salles de bains et à des endroits où l’on puisse faire une lessive dans des refuges pour sans-abri pleins à craquer ou dans des motels.) Je lui ai demandé pourquoi certains élèves étaient affamés alors que certaines aides du gouvernement sont censées les aider à s’alimenter (Réponse : Les aides et pensions alimentaires ne sont pas si nombreuses que cela et ils sont obligés de manger la nourriture la moins chère disponible. Cette nourriture s’apparente souvent à de la malbouffe, elle est peu nutritive et ne fait généralement que les rassasier un peu sur le moment)
Je sais que mes questions peuvent sembler extrêmement naïves, mais c’est largement imputable au fait que je vis dans ma petite bulle confortable de la classe moyenne supérieure. Dans mon quartier, les pires coups de gueule relatifs à l’école que j’aie entendus de la part des parents concernent « l’injustice » du système classique des notes, ou bien le programme de sport jugé trop difficile. Mis à part les petites actions éparses de charité, il est relativement facile pour un parent vivant dans mon quartier d’oublier que de nombreux enfants ont des problèmes bien plus graves que de savoir si le terrain de foot de l’école est bien entretenu ou non.
À ce jour, le moment le plus dur dans toute la carrière de Sonya Romero-Smith c’était quand la police est venue à l’école pour retirer un enfant souffrant de malnutrition de la classe parce que l’un de ses parents venait de mourir d’une overdose de drogues.
« Quand vous avez un petit enfant de 5 ans devant vous qui vous supplie de ne pas laisser la police l’emmener, vous pouvez imaginer que c’est assez difficile à vivre. Je me souviens que j’ai donné à cet enfant la seule chose que j’ai pu trouver à portée de main. C’était une peluche que j’avais dans la classe, »dit-elle. « J’ai dit à cet enfant que je m’assurerai que tout irait bien pour lui et que tout ce que je voulais qu’il fasse en attendant c’était de prendre soin de cette petite peluche et de l’aimer de tout son cœur. »
C’était un mouvement désespéré, un effort de dernière minute de la part de cette maitresse pour réconforter cet enfant… Et apparemment cela a marché, aussi incroyable que cela puisse paraître.
« Plusieurs semaines plus tard, la famille d’accueil l’a ramené à l’école et il m’a remis cette peluche en mains. Il m’a dit qu’il n’avait jamais laissé le jouet ‘se sentir seul’ » a-t ’elle ajouté. « C’était une vraie leçon d’humilité. »
C’est assez troublant d’imaginer les douloureuses inquiétudes qui pèsent sur les vies de certains enseignants comme cette femme et tant d’autres. Non seulement ils doivent se concentrer sur l’éducation de leurs élèves, mais également de leurs vies. Ces enseignants doivent les aider à porter leur fardeau pour leur permettre d’accéder à un endroit sûr provisoirement libre de tout souci extérieur, leur fournir des conditions dans lesquelles ils pourront apprendre.
« En tant que professeur des écoles, mon travail est aussi d’assurer le bien-être social et émotionnel des élèves au moins tout autant que d’assurer leur apprentissage des notions de base. »
Romero-Smith a un emploi du temps plutôt chargé. En plus du temps qu’elle consacre pour son métier à l’école, elle est aussi une mère d’accueil pour deux jeunes filles — deux élèves de son école qui se sont récemment retrouvées à la rue, sans abri. Malgré cela, elle a quand-même pris le temps de répondre à toutes mes questions, parce qu’elle voulait, selon elle « donner une voix à tous ceux qui ne peuvent pas parler » — tous ces enfants qui vivent dans la pauvreté et qui risquent de ne jamais pouvoir sortir du cercle vicieux de la pauvreté.
« Leurs histoires doivent être partagées non seulement pour provoquer un changement, mais aussi pour montrer aux gens certaines réalités qui peuvent être dures à comprendre, » dit-elle.
En attendant, Romero-Smith continue à panser les blessures dans sa salle de classe, elle reste optimiste et continue à encourager ses élèves.
« Je continue parce que je sais qu’ils ont de l’importance. Chacun d’entre eux est rempli de bonté et de grandeur. »
Je ne saurais jamais ce qu’il est arrivé à cet adolescent très maigre qui remuait d’impatience sur sa chaise et qui a failli se mettre à ronfler pendant que je racontais ma vie, il y a dix ans de cela. Mais je suis heureuse que cette enseignante à la voix douce ait fait preuve de compassion avec lui. Peut-être qu’elle voyait de la grandeur en lui, elle aussi. J’espère sincèrement, malgré tous les obstacles, qu’il a réussi.
Source : Babble.com